Cher M. Roberge,
Dans le nouveau rapport Pour une laïcité québécoise encore plus cohérente : bilan et perspectives, on vous a confié le mandat important, au titre de ministre responsable de la Laïcité, d’assurer « un suivi rigoureux auprès du ministre de la Santé afin de garantir un accès équitable et adéquat [aux soins d’avortement] dans toutes les régions, au même titre que les autres soins de santé ». Ayant été consultée par le comité d’étude, mais constatant l’absence des faits saillants de cette consultation dans le rapport, j’aimerais vous offrir quelques clarifications pour vous outiller dans votre nouveau rôle de surveillance du droit et de l’accès à l’avortement au Québec.
Premièrement, l’objection de conscience. Dans le mémoire que la Fédération du Québec pour le planning des naissances (FQPN) a présenté au comité d’étude, nous avons expliqué qu’il demeurait extrêmement difficile de distinguer les absences d’offre de services motivées par l’objection de conscience sur une base religieuse de celles qui s’expliquent par la présence d’obstacles logistiques et structurels. Dans le rapport sur la laïcité, les auteurs en viennent à la même conclusion.
Je ne vous envie pas la tâche d’assurer ce suivi rigoureux s’il n’y a même pas de preuve qu’un problème existe ! C’est quand même dommage, car la FQPN avait formulé ses propres recommandations, dont « documenter le phénomène de l’objection de conscience institutionnelle afin de mieux comprendre la présence (ou l’absence) de cet enjeu ». Avant de prendre le taureau par les cornes, mieux vaut vous assurer que le taureau a bel et bien des cornes, sinon la vache pourrait s’avérer aussi surprise que vous.
Deuxièmement, l’Outaouais. L’exemple de la Clinique des femmes de l’Outaouais est évoqué à plusieurs reprises pour illustrer une rupture de couverture par le système public pour les femmes de cette région. Si vous vous êtes inquiété à cette lecture, j’ai de bonnes nouvelles pour vous ! La Clinique détient une entente de services avec le CISSS de l’Outaouais et assure 96 % des avortements de la région, renvoyant les patientes vers l’hôpital de Gatineau au besoin pour les 4 % restants. Et grâce au jugement de 2006 si bien cité dans le rapport, les frais sont entièrement couverts par la Régie de l’assurance maladie du Québec (RAMQ) dans cet organisme féministe à but non lucratif, de même que dans tous les points de services en avortement au Québec.
Enfin, permettez-moi de vous présenter les véritables enjeux en matière d’équité d’accès à l’avortement au Québec, puisque cela semble une préoccupation fondamentale du rapport sur la laïcité. Ça tombe bien, la non-discrimination dans les soins est au centre de nos priorités aussi, car aujourd’hui les femmes habitant le Québec qui n’ont pas accès à la RAMQ sont discriminées sur la base de leur statut migratoire. Des délais d’attente importants persistent dans certaines régions, les plages horaires étant restreintes à cause d’un manque de personnel. La multiplication du nombre de rendez-vous de suivi et la formation initiale limitée des professionnels de la santé en avortement constituent des barrières à l’accès, sans parler de la contraception, qui n’est toujours pas gratuite au Québec !
Ce n’est pas en obligeant tous les établissements à offrir les soins d’avortement que ces obstacles seront éliminés, mais plutôt en finançant adéquatement les services existants.
Mais pour ça, M. Roberge, je pense que vous pourrez vous en remettre aux bons soins de votre collègue ministre de la Santé.
Publiée 28 août, 2025 https://www.ledevoir.com/opinion/idees/912528/laicite-avortement-clarifications-surtout-pistes-action